Retrouvez la tribune de 500 enseignants, chercheurs et professionnels de l'éducation
"La guerre des manuels a commencé" : le billet de Céline Malaisé
LES CHOIX SOLITAIRES ET GRANULAIRES DE VALÉRIE PÉCRESSE PROVOQUENT UNE FRONDE
La Région Île-de-France a fait le choix, sans concertation avec les enseignants et parents d’élèves, de mettre fin progressivement aux manuels papier et numériques d’éditeurs au profit de manuels “libres” et de contenus dits “granulaires” hébergés sur une plateforme unique. La mise en place de cet outil numérique suscite à juste titre la colère de la communauté éducative.
Une nouvelle fois, la Région Ile-de-France dirigée par Valérie Pécresse les met devant le fait accompli et impose sa vision des outils pédagogiques. Les enseignants dénoncent un outil fragmenté, sans fil conducteur, où l’absence de hiérarchisation des informations ne permet plus la structuration d’un raisonnement. Ils redoutent la recrudescence des inégalités et des difficultés d’apprentissage face que certains qualifient de tik tok ou de scrolling scolaire.
L’arrivée de cette plateforme numérique suscite donc de vives inquiétudes. En mars et avril 2023, notre groupe interpellait par courrier Valérie Pécresse et le Ministre de l’Éducation Nationale d’alors, Pap Ndiaye, afin que le marché public de 18 millions d’euros relatif à cette plateforme – lancé par la Région Ile-de-France – soit abandonné. En vain.
Alors que la Région n’a pas concerté les modalités d’élaboration de sa plateforme unique, elle distille le flou en mélangeant délibérément les contenus granulaires avec la transition des manuels papiers vers des manuels numériques. Elle masque aussi la désarticulation des contenus par l’utilisation du terme de “manuels libres”. Ces confusions minimisent volontairement l’enjeu pédagogique de l’introduction de cette plateforme unique.
Or, il ne s’agit pas d’opposer manuels papier et numériques mais bien d’évoquer la survie des manuels, de maintenir une cohérence des outils pédagogiques entre eux, de réfléchir et de cantonner la place du numérique dans les enseignements, d’affirmer la complémentarité d’un manuel, d’un cours et de contenus complémentaires. Il s’agit aussi et avant tout de défendre la liberté pédagogique des enseignants.
En effet, le contrôle de cet outil remet gravement en cause la liberté pédagogique. Comme nous l’avons découvert en mars 2023, le cahier des charges du marché public relatif à cette plateforme permet à la Région et à son prestataire, Pearltrees, d’en contrôler les contenus en s’octroyant le pouvoir de retirer un contenu à tout moment. À l’image des récents retraits de subventions décidées unilatéralement par Valérie Pécresse et parfois sans vote des élus, cette possibilité ouvre la voie à de graves dérives.
Cette régionalisation des supports de cours à destination des lycéens ébrèche de facto l’unicité des contenus d’enseignements qui doivent être les mêmes pour tous et partout sur le territoire de la République. Cette ingérence pédagogique d’un exécutif politique régional dans les contenus de l’éducation nationale outrepasse les compétences qui sont attribuées par la loi aux régions.
De plus, l’émergence de cette plateforme numérique unique intervient dans un contexte de tentatives de main mise des forces réactionnaires sur les contenus pédagogiques et l’édition, à l’image des charges récurrentes contre l’éducation à la sexualité ou encore la prise de contrôle par la famille Bolloré du groupe Hachette, premier éditeur jeunesse et scolaire de France.
Face au danger de la prise en main des contenus pédagogiques par des forces réactionnaires ou au gré des humeurs politiques à la tête de la Région, il est urgent de réagir.
Notre groupe soutient donc le moratoire sur les plateformes numériques demandé par plus de 500 enseignants et professionnels des sciences de l’enseignement, de l’édition et des chercheurs dans une tribune parue dans Le Monde le 2 septembre 2025. Nous appelons également Valérie Pécresse et l’exécutif régional à engager d’urgence un débat public avec la communauté éducative sur les outils pédagogiques afin qu’ils répondent véritablement aux besoins des enseignements et qu’ils respectent la liberté pédagogique.